Hier il a neigé. Ce matin aussi d'ailleurs. La
météo nationale annonce un soleil radieux pourtant. Outre le fait
qu'un sourire moqueur envers ces experts du temps qui publient
officiellement et bien sérieusement des prévisions en contradiction
flagrante avec la réalité des choses se dessine sur mon visage de
dimanche matin, vide de toute émotion dans la solitude de mon
appartement, je suis presque en colère de ne savoir si je pourrais
ou non profiter de la journée pour m'extraire de ce doux cocon
chaud. Les minutes passent, les heures aussi vu que je me suis
volontairement levé de relativement bonne heure. La grisaille est
bel et bien là et déverse ses larmes jusque tard dans la matinée.
C'est fichu, n'est-ce pas ?
Oui et non. On approche midi, la pluie a cessé en
plaine. Le Pignu en face est parsemé de blanc, et le Monte Stellu
encore plus loin est désormais d'une pâleur spectrale qui tranche
avec le gris du ciel qui le ceint. J'ai en projet de monter vers
Murato pour un petit circuit touristique entre village et nature.
J'analyse le pour et le contre : seul le sommet du Pignu est
blanc, donc la neige n'est pas tombé si bas que çà. Les nuages
semblent se stabiliser, et peu à peu des trous de ciel bleu se
dessinent au loin vers le Cap. Je n'ai vraiment pas envie de rester
enfermé. Vendu, tu vas tenter ton circuit mon vieux. Dans le pire
des cas, une quinzaine de minutes en voiture ne t'auront pas tué.
Peu après midi je pars donc. Je n’emmitoufle
chaudement, évitons de tomber malade pour demain. Sitôt enfoncé
vers Murato, à mesure que je grimpe sur la route de montagne qui
accède au Nebbiu, je peux constater que les sommets de l'intérieur
de l'île sont dorénavant immaculés. L'image s'est assez peu
présenté à ma vue pour que je la remarque. A cet instant, je prie
pour que Murato n'est pas été enneigé, les balades dans la
poudreuse ne m'attirent définitivement pas, de par la crainte
d'absence de repère bien visibles. Il semble que non à mesure que
je m'en approche. J'avais déjà été vers Rutali juste à côté,
le village semble indemne, donc j'en conclue qu'il en sera de même
avec ma destination du jour.
Je vois dorénavant l'autre côté de l'île. Le
ciel sur ma tête est encore lourd et chargé, mais le bleu morcelé
çà et là au loin confirme que j'ai bien fait de venir. D'après
mon expérience personnelle, il est quasi impossible qu'il repleuve
dorénavant. Me voilà au moins rassuré. D'ailleurs, la chapelle San
Michelet atteinte. Elle constitue mon point de départ pour la
promenade envisagée. Chapelle pisane par excellence, elle est assez
intéressante avec son damier bicolore irrégulier. Et malgré son
âge, elle semble étonnamment bien conservée. La vue est presque
panoramique depuis son parvis : les sommets sont effectivement
blancs, et la démarcation que la neige y fait est assez curieuse, on
dirait qu'elle a été saupoudrée dessus avec un pochoir tant elle
est nette et tranchée. Soit.
Je me lance donc sur la piste. Bien indiquée
d'ailleurs. Surtout qu'elle m'amène sur une route en bitume qui
traverse le cimetière. Je radote, j'en ai bien conscience, mais ce
genre de promenade n'est pas vraiment à mon goût en temps normal.
Un premier sentier plus « naturel » s'offre à moi.
Pourtant je continue à longer les hameaux, les maisons de
particuliers me bordent. Si je n'observais pas autant d'espèces
végétales au bord de mon trajet, je pense que j'aurais carrément
couru comme un fugitif pour m'échapper de ce promiscuité à
l'opposé de mes objectifs dominicaux... Ces plantes sont vues et
revues, mais comme j'en dresse un inventaire à chacune de mes
visites, je me force à prendre le temps de m'y attarder. Et qui plus
est, chacune est unique : de par le lieux parfois insolite où
elle croît, de par son développement, de par ses voisine avec qui
elle se marie plus ou moins harmonieusement. Car oui, la nature est
un tableau vivant. La beauté simple de ces agencements de verdure a
ceci de merveilleux qu'elle reflète un savant dosage de hasard et de
ce que je nommerais par exagération la volonté des plantes. Pas
vraiment consciente certes, mais leur lutte pour profiter du soleil
en étirant leur feuilles où il faut, leur quête d'eau par leurs
racines, leur adaptation de forme et de disposition, tout çà fait
que j'ai envie de les respecter comme des êtres vivants à part
entière malgré leur vie végétative au sens premier.
Je retourne dans les hameau au milieu des
habitations. Les demeures anciennes de village sont jolie, les
fontaines de village sympathiques, mais je ne veux pas jouer au
touriste de base. J'atteins la chapelle Saint Jean. Son style est
bien différent de Saint Michel près d'où je suis parti. Elle a son
charme portant, mais je ne m'en approche pas plus que çà, je suis
un fugitif qui veux prendre la maquis, ne l'oublions pas. Direction
la chapelle Saint Roch que mon plan indique. Cette succession
d'édifices religieux marquerait-elle pour moi un pèlerinage à
effectuer pour exorciser mes démons intérieurs qui me font éviter
de côtoyer mes pairs en ce jour saint ? L’Homme voit de
signes là où il veut bien les voir. C'est sûrement cette solitude
qui me sied tant en balade, particulièrement avec ce ciel grisâtre
en guise de plafond, qui m'amène alors à cette petite introspection
sur ma misanthropie à peine dissimulée.
J'y travaillerai un autre jour, la chapelle est
atteinte. Elle est surplombée par un pagliaghju, apparemment
inaccessible, mais qui dispose de sa petite pancarte signalétique.
C'est exactement comme à Rutali. La proximité des deux villages est
alors flagrante, jusque dans les traditions pastorales des
populations de naguère. L'église en elle-même n'est plus qu'une
ombre : seuls subsistent les quatre murs d'enceinte, le toit est
effondré et l'entrée est fermée par une grille rouillée. A
l'intérieur rien de très caractéristique d'un édifice religieux.
Pourtant je ne suis pas déçu. Je suis de ceux qui sont persuadés
qu'il faut aller au-delà de la simple apparence des choses pour en
accéder à la quintessence. Ce que cet endroit a été ne pourra
jamais être changé, le passé est immuable car déjà accompli. Il
devient de fait les fondations même de l'avenir. Imaginons que l'on
veuille éluder les faits anciens, cela ne reviendrait-il pas
simplement à virer les fondation d'une bâtisse ? Si l'on avait
ce pouvoir, quel futur pérenne envisager ? J'extrapole, mais
seulement pour bien faire comprendre qu'aussi ruinés soient les
lieux de vie passés que j'ai croisé, je ne me permettrais jamais
d’émettre un jugement bassement négatif à leur sujet. Je ne veux
pas devenir un simple touriste en mal d'histoires superficielles à
raconter aux collègues de bureau. Je suis un homme à la recherche
de ses racines d'une certaine façon. Ni plus ni moins.
Après cet intermède, je reprends ma route en
direction de la Croix des Quatre Vents, qui marque la proximité d'un
pont génois non loin. L'accès depuis Saint Roch est forestier. Je
dois dire que j'apprécie cette solitude retrouvée. Le pont traverse
une rivière bien alimentée par le précipitations de la veille, et
qui ne désemplira certainement pas de sitôt aux vues de la neige
qui couvre les cimes. Direction la glacière, qui marquera la fin de
mon périple du jour. C'est officiel, je suis au cœur de la forêt,
pourtant, les marches grossières en pierre prouve que l'être humain
est passé par ici. D'ailleurs, ces marches sont atrocement
glissantes, je suis contraint de marcher au pas, au sens premier,
pour tenter d'éviter de glisser... Mon bâton de marche trouve alors
toute son utilité, quand jusqu'alors il était plus un fardeau sur
la route en bitume du hameau.
J'atteins le fin de la route en forêt, je rallie
la route départementale et dois la suivre jusqu'à la glacière.
Cette fin de parcours me laisse sur ma faim. La glacière est
présente, mais close, et juste au bord de la départementale. Après
les glacières de Brando et de Cardo, je dois avouer que je
m'attendais à autre chose, surtout par temps de neige, qui aurait dû
m'évoquer les images de leur utilisation de jadis. Au moins sais-je
à présent que Murato était ce ces villages qui se sont enrichi
avec le commerce de la glace, c'est déjà une excellente chose en
soi.
Mon retour est donc engagé. Le soleil commence à
apparaître furtivement çà et là entre deux nuages. Il fait doux,
très doux même. J'abandonne ma veste. Je veux profiter de ce
contraste entre le paysage à priori froid et la douceur ressentie.
Je vais pouvoir mieux fixer les images déjà entraperçues à
l'aller. Finalement il y en avait pas mal. J'ai sûrement manqué
quelques détails qui valent le détour. Je vais corriger çà.
Arrivé à Saint Jean, le chemin propose une seconde voie pour
rentrer. Elle passe par l'intérieur même du village. Je n'ai plus
d'appréhension, j'ai envie de l'emprunter quelque part. Au diable
les autres, au diable leurs regards sur ce type avec des chaussures
de marche et un sac à dos qui n'est pas du village, qui sais,
peut-être s'en fichent-ils royalement en fait ? Tu es un peu
nombriliste mon vieux. Tu les salueras si tu les croises, s'ils te
répondent c'est bien, sinon tant pis. Vis un peu plus pour toi et
tout ira mieux.
Le Couvent, le lavoir, l'histoire même du hameau
se dévoile donc en cette fin de visite impromptue. Merci de m'avoir
reçu. Je n'en attendais pas tant en ce dimanche après-midi. Au
revoir, à bientôt peut-être ?
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